Octobre 2014

Concours de Nouvelles

Ville d’Anzin-Saint-Aubin

Pas gagnée, non ! Mais sélectionnée dans le recueil paru 🙂

La consigne : écrire une nouvelle à partir de la photo, 6 000 signes max.

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Résultat en livret

PhotoNlle1

PhotoNlle2

Texte, à découvrir ici… 5991 signes !

Petit

L’image est tentante. Ne nie pas, je te vois. T’as tout d’une étoile de mer. Sais-tu que tu louches, à t’étirer comme ça, dans toutes les directions ?
C’est déjà ton île et tu voyages, hein ?
Tu surfes sur le dôme de tes fantasmes. Une brasse coulée dans ses eaux profondes. Des nuits paisibles au dernier étage. Le ciel à portée de main.
Tu t’agites, tu trépignes. Tes pas foulent la mousse soyeuse, négligent les épines de pin.
Tu t’appuies au solide de la roche, et tu en oublies la lame saline qui érode sa charpente.
Si je te laissais faire, tu en ferais mille fois le tour, de mon île.
Fouiller son horizon, c’est ta garantie de liberté. Cette part de rêve en toi qu’à pas fini d’espérer.
Mais cette image est un leurre, petit. Comme toutes les illusions que la vie nous fait miroiter, l’apparence fait appât. Et quand tu redescends sur terre, il est trop tard. Les mâchoires du diable t’ont à moitié bouffé le cœur.
Aussi, ne confonds pas tout. Tu es jeune encore.
Toi, tu sortiras. Bien avant moi.
Je ne sais pas pourquoi tu es là, mais tu ne peux pas avoir fait grand-chose de mal.
Pas sournois pour un sou. On dirait moi à ton âge. Encore puceau, non ?
Allez, enlève-toi ce tableau de la tête. Zou…
Cette photo est ma mémoire. A perpétuité.
Mon passé ne t’appartient pas.
Oublie ce futur.
On va en punaiser une autre. Avec tous les magazines qui traînent ici, ce sera facile.
Je vais la retirer. Je ne veux pas que tu te perdes ainsi. T’as pas dit un mot depuis que t’es arrivé. On dirait un insecte hypnotisé. Comme moi y’a longtemps.
Ce qui t’attend ne peut être ce qui m’est arrivé.
Tu sais quoi, je vais te la raconter, moi, l’histoire. La vraie. Et après, on ira te dénicher une chouette photo, rien que pour toi. Tu verras, tu me remercieras.
Alors écoute. Parce que celle-là, j’aime pas la raconter deux fois.
Dans ce château vivait autrefois une femme. Bon, tu le vois peut-être mal, là, mais c’est un château qui est bâti sur ce bout de rocher. Et même que la tour que tu vois au fond, eh bien, c’est la cuisine
Une femme aimée, donc, et une mère aimante.
C’est ce que tout le monde disait et ce qu’ils ont répété au procès.

Chaque jour, je venais la surprendre, sur l’autre rive. Au travers de mes jumelles, le focus à l’excès. Je zoomais des heures pour ne l’apercevoir parfois qu’un seul instant.
J’avais ton âge, à peine vingt ans.
J’étais passionné, je me croyais tout-puissant. Plus malin aussi. Et amoureux.
Alors, un matin je me suis jeté à l’eau. Littéralement.
Et j’ai nagé.
Je la savais seule.
Quand je me suis planté devant elle, elle n’a même pas eu peur.
Paraît que tous les gens de la côte étaient au courant. Son mari et quelques-uns de ses amis avaient même misé sur moi. Pariant que je viendrais soit avant, soit après la fin de l’été.
Elle, elle m’a dit qu’elle me trouvait courageux d’être venu aujourd’hui. L’eau devait être glaciale, avec ce brouillard qui ne décolérait pas.
Elle m’a tendu une serviette, je l’ai suivie dans la cuisine et elle m’a offert une tasse de chocolat chaud.
Moi, pendant tout ce temps, je suis resté muet. J’étais fasciné.
Je respirais son parfum, une essence de vanille, mêlé aux effluves du chocolat qui me brûlait les mains.
Elle me parlait comme si tout était normal. Elle et moi, ensemble, en parfaite convivialité.
Et plus elle parlait, et plus je me tétanisais.
Envolé, mes beaux discours, ma passion juvénile. Tout autant qu’elle vibrait, je me statufiais.
J’avais tout imaginé, sauf ça.
Elle me connaissait déjà et, même, elle m’attendait.
Et là, je vais te parler crûment, petit. Parce qu’il y a longtemps que je me le ressasse ce foutu rocher et que les mots, c’est les mots, quoi qu’on leur fasse dire. Y’aura jamais qu’un sens et jusqu’au bout j’ai tenu tête.

C’est pas juste « ma » vérité, mais « la » vérité. Tu saisis ?

Donc, moi, pendant tout ce temps, un désir violent m’était monté entre les jambes.
Cette femme que j’avais fantasmée dépassait de loin tout ce que j’avais imaginé.
Elle était là, devant moi, tout sourire, enchanteresse.
Et plus je la regardais, médusé, plus je bandais. Ni plus ni moins. Comme un diable.
La serviette cachait à peine mon maillot de bain. Je sentais que ces instants étaient importants, essentiels et pourtant, quelque chose  m’échappait, dérapait.
Mon membre cognait trop fort dans mon slip sans que je puisse l’arrêter.
Et elle, elle continuait de minauder, l’air de rien.
Sa nonchalance, sa frivolité et ses sourires m’aveuglaient.
A un moment, je devais avoir l’air absent, elle s’est approchée de moi, m’a posé une main sur le bras, doucement, comme pour me secouer, me réveiller.
Et là, bon sang, ce fut comme une décharge électrique ; cette douceur incongrue sur ma peau brûlante. L’onde de choc inévitable contre laquelle tu n’essaies même pas de lutter.
Est-ce que tu as déjà brûlé comme ça ?
Je leur ai posé la question comme je te la pose et c’est ça que personne n’a compris.
Ce feu en soi qui dévore et lèche sur son passage tout ce qui l’approche.
Pour elle comme pour moi, un barrage a cédé.
Une impulsion, un coup de folie.
Je me suis levé d’un coup, la serviette est tombée, j’ai vu ses yeux fixer mon sexe, s’y appesantir. J’ai juré qu’elle l’avait touché.
On s’est retrouvés sur la table de la cuisine. Enchevêtrés. Comme des fous.
Le bol s’est écrasé par terre, laissant partout sur le sol, la serviette, sa robe, une multitude de taches brunes. Trop de preuves, s’il en eût fallu.
Plus tard, elle a dit que je l’avais violée. Tout est allé très vite. Et au procès, elle n’est pas venue. Il n’y avait que son mari et sa fille.
Une fois encore, je suis resté muet. Leurs haines m’irradiaient. J’ai capitulé.
Neuf mois après, je recevais cette photo.
Prise sûrement un jour gris comme ce jour-là.
Aucune mention de l’expéditeur.
Mais un mot. Un seul. Ecrit au dos. Comme si ça pouvait tout changer.
Tu y crois toi, petit ?
Un mot pour une demi-heure de plaisir et vingt-deux années sous les barreaux.
Quand je te dis que cette image est un leurre.
Qui aurait pensé ça ?
Eh ! Mais petit, pourquoi tu pleures ?